Dans un climat de dégénérescence manifeste de la classe politique française, Éric Zemmour, invoquant un parallèle hasardeux avec Bainville et ses regrets pre-mortem1, s’est offert à la France comme candidat providentiel à la Présidence de la République. Le polémiste, qui jouissait d’une audience quotidienne flatteuse et confortable sur Cnews, a vu sa tentative romanesque se solder par un double échec- élyséen et varois-, jugé humiliant par la plupart des commentateurs. Bien que l’auteur de La France n’a pas dit son dernier mot rejette la charge de la défaite tantôt sur Vladimir Poutine2, tantôt sur l’« analphabétisme des classes populaires »3, nous estimons qu’il existe des explications davantage ancrées dans la réalité de notre pays.
Qui sème la discorde…
Reconnaissons à Éric Zemmour son attachement à placer le débat politique dans la perspective du temps long, en résonnance perpétuelle avec les enjeux sociétaux et civilisationnels de la France. Ses propos sont justes lorsqu’il assène qu’un Président de la République a le devoir d’incarner et impulser une vision idéologique claire, long-termiste et éloignée des mesurettes prosaïques du technocratisme. Nous déplorons néanmoins chez l’aspirant-président Zemmour une vision altérée par une forme regrettable de dissonance cognitivo-politique. S’obstiner corps et âme à réhabiliter et cultiver un esprit archaïque de croisade contre l’Islam et les musulmans de France- dans la brutalité et la malhonnêteté les plus saillantes-, et, en même temps, continuellement déverser son fiel sur une nouvelle gauche « woke » vectrice de la déliquescence des mœurs et valeurs françaises, c’est la démonstration éclatante d’une cohérence inexistante.
Eric Zemmour s’acharne à présenter aux français, par la persuasion et la répétition, un Islam qui serait l’ennemi héréditaire et éternel du Christianisme, et par transitivité de la France dans son essence. C’est ce qui explique, entre autres, que malgré un discours cathophile rare dans le paysage politique français, 9 catholiques sur 104 se sont refusés à se laisser prendre en otage dans une querelle qui leur est étrangère. Les catholiques de France -usant d’un pragmatisme qu’Éric Zemmour et ses conseillers se sont interdits-, comprennent bien que l’avenir de leur nation et la perpétuation de leurs valeurs pourraient nécessiter le concours des musulmans français, en toute conformité au « Nostra Aetate » promulgué le 28 octobre 1965 par le deuxième concile de Vatican.
Ainsi Éric Zemmour est-il le chantre de la discorde islamo-chrétienne, déterminé dans son aveuglement à prendre l’Histoire en sens inverse.
… Récolte la défaite
Le lecteur reconnaîtra que prôner des valeurs conservatrices tout en opposant instamment les deux électorats les plus prompts à les défendre, cela relève d’une stratégie encore perfectible. Si l’aversion d’Éric Zemmour pour l’Islam, qui a connu des sommets d’indignité5-, n’est plus à démontrer et proscrit de fait tout soutien issu de la communauté musulmane, nous rappelons que sa légitimité à porter les voix des catholiques est somme toute discutable, ayant déclaré être « contre le Christ »6.
Voici comment l’on précipite une défaite. Mener une campagne bruyante et belliqueuse contre l’Islam et les musulmans de France- qui pèsent aujourd’hui pour une tranche substantielle du corps électoral-, c’est d’une part se priver d’alliés d’une portée encore insoupçonnée et d’autre part se les imposer comme adversaires. C’est ainsi que la communauté musulmane, mue par l’exaspération, a exprimé en masse son véto à Éric Zemmour en la personne de Jean-Luc Mélenchon7, neutralisant autant qu’il se peut la représentativité relative du polémiste. Ce phénomène a déclenché au sein de l’électorat de droite la crainte de voir l’Insoumis accéder au second tour face à Emmanuel Macron, motivant le report d’une partie des voix initialement destinés à Éric Zemmour sur Marine Le Pen8, mieux placée dans les sondages et considérée désormais comme valeur refuge. Voilà qui mène directement au score piquant connu de tous. Quant aux législatives, le nombre de sièges obtenus par le parti d’Éric Zemmour n’est in fine que le reflet de l’efficacité d’une stratégie politique fondée sur la discorde.
Si Dieu le veut ?

L’humilité est à la classe politique ce que l’eau fraîche est au désert, et nous croyons qu’elle est une vertu nécessaire à l’action publique. Pour se prémunir à l’avenir d’une situation aussi embarrassante que celle illustrée ci-dessus, nous recommandons en toute sympathie et empathie à Éric Zemmour de méditer avec plus de douceur et d’intelligence les enseignements bibliques (Jacques 4 :13-15)9 et coraniques (18 :23-24)10.
(1) https://twitter.com/zemmoureric/status/1385141815842689025?lang=fr
(5) https://www.youtube.com/watch?v=_Aa4W4A2W20&t=970s
(6) https://youtu.be/_-5XmCi8CJg?t=1133
(9) https://www.info-bible.org/lsg/59.Jacques.html
(10) https://coran-seul.com/index.php/verset?sourate=18&verset=23